THEME 1 - PERCEPTION ET REPRESENTATION DES RISQUES
Thème 1
PERCEPTION ET REPRESENTATION DES RISQUES
Le travail de ce Groupe a été coordonné par Mme Claire Arnal (BRGM) et Bernadette Devanssay (Laboratoire de Psychologie Environnementale, Univ. Paris 5).
Rappel des objectifs
Les problématiques " risques " (naturels, industriels, sanitaires) ont été traitées par de nombreuses disciplines qui se sont forgées leur propre vocabulaire et leurs propres concepts à partir de leurs méthodologies de travail et de leurs objectifs. On constate une véritable difficulté de compréhension des différents acteurs sur ce que recouvrent des termes similaires utilisés dans des contextes différents. Chaque discipline aujourd'hui travaille en utilisant ses propres référents; ces termes ne sont véritablement compris que par les initiés ; et chaque initié se plaint de l'erreur de terminologie créée par son voisin.
D'autre part, on sait que l'évaluation du risque (aléa x vulnérabilité) dépend de la représentation individuelle et collective de la menace ; ces représentations sont aujourd'hui peu ou mal explorées. Les mesures de prise en compte du risque dépendent cependant naturellement de ces représentations.
Les travaux proposés
Deux axes de travail ont été définis par le groupe :
- Exploration des significations attribuées aux principaux concepts selon les différentes professions du Génie Civil.
- Etude des perceptions et de l'acceptation des risques dans les professions du Génie Civil et comparaison avec des échantillons de population.
Le premier objectif n'est pas tellement de clarifier ou de " normaliser " les vocabulaires mais de faire échanger entre les différents partenaires de la gestion des risques leurs interprétations de ces termes.
Un des enjeux de la démarche est de faire prendre conscience de l'importance des pré-requis recouverts par le vocable et de la nécessité, pour pouvoir communiquer, à la fois de comprendre ce que soi-même on implique en utilisant le terme, et ce à quoi nos interlocuteurs se réfèrent.
Les actions réalisées en 2003-2004
a) Elaboration des outils de mesure de la connaissance des vocabulaires
Plusieurs types de questionnaires ont été élaborés à partir de différentes consultations et ont fait l'objet de pré-tests ; ils comportent tous deux parties : une partie générale visant à évaluer la connaissance des principaux termes utilisés et une partie thématique, selon les risques, en fonction des interlocuteurs concernés : inondations, mouvements de terrains, risque sismique...
b) Tests des questionnaires
Plusieurs séries de questionnaires ont été utilisées pour réaliser le pré test, auprès de différents publics : étudiants en fin d'études scientifiques dans le domaine du génie civil, professionnels de la géotechnique, étudiants architectes de quatrième année.
Enfin, une dernière série de questionnements est en cours auprès des différents professionnels impliqués dans l'acte de construire, depuis les promoteurs jusqu'aux collectivités locales.
c) Analyse
L'analyse des deux premiers pré-tests a été réalisée au Laboratoire de Psychologie Environnementale. Nous en présentons ici les résultats majeurs. L'Annexe 2 fournit plus de détails.
Aperçu de l'analyse des réponses aux questionnaires
Pourquoi s'interroger sur les représentations sociales du risque des acteurs du génie civil ?
Le risque est un terme ambigu et évolutif selon les sociétés ; il est différemment interprété selon les activités des différents groupes de professionnels. Pour qualifier ces interprétations de la réalité, on parle en psychologie sociale, depuis Moscovici (1961), de " représentations sociales ". L'exploration et la connaissance de la " vision du monde " que les individus ou les groupes portent en eux et utilisent pour agir ou prendre position est reconnue comme indispensable pour comprendre la dynamique des interactions sociales et éclairer les déterminants des pratiques sociales (C. Abric). Pour la psychologie sociale, il n'existe pas une réalité objective mais la théorie pose que " toute réalité est reconstruite par l'individu ou le groupe, intégrée dans son système de valeur, dépendant de son histoire et du contexte social et idéologique qui l'environne ". On définit la représentation comme une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble social (Jodelet).
Explorer la définition du risque des différents acteurs du génie civil apparaît donc comme une première étape pour la compréhension des attitudes face aux prises de risque de ces acteurs. Il s'agit d'étudier une référence implicite, spontanée et souvent élaborée de façon peu consciente, de ce que les différents acteurs du génie civil mettent sous la terminologie actuelle concernant les risques ; les vocables principaux sont peu nombreux au demeurant et devraient permettre une mise en commun rapide des concepts utilisés.
Les méthodologies des sciences sociales, utilisées pour ce type d'exploration, sont nombreuses. On a repris dans la première question la méthode la plus simple qui procède par associations d'idées. On a donc demandé de " donner les quatre premiers mots qui viennent à l'esprit spontanément lorsqu'on évoque le mot risque ".
Dans les questionnaires destinés aux architectes, la question a été reformulée de la manière suivante : " Selon vous quels sont les termes liés aux risques spécifiques à votre métier ?". L'impact de cette formulation est évident : alors que la première formulation induit des termes comme danger, menace, et renvoient à une gamme de situations étendue et diverse, la seconde formulation fait apparaître des termes comme règlements, pollution, terrorisme, etc. ; on est tout de suite dans du circonstanciel et du professionnel et non plus dans du conceptuel.
Il faudra donc, dans une enquête plus approfondie, choisir une formulation et s'y tenir, en sachant que cette formulation implique des réponses très différenciées.
Selon la méthode utilisée (Michel Louis Rouquette), le classement des termes recueillis se fait en fonction de quatre catégories : le lexique, la praxie, l'attribution et les conséquences.
- Le " lexique " permet de classer les vocables utilisés par les interviewés en trois catégories : termes synonymes, termes définitoires et termes antagonistes.
- La " praxie " comporte quatre sous catégories : les acteurs, les actions, les objets et les outils.
- On parle d' " attribution " pour désigner les qualifications qui accompagnent la représentation. L'attribution comporte deux catégories : la caractérisation et le jugement.
- Les " conséquences " du risque s'analysent le plus souvent en termes de coûts et dommages.
Les représentations du risque des groupes étudiants et professionnels paraissent assez contrastées. Le pré test met en évidence l'impact de la formulation des questions, d'une part, mais aussi la sensibilité au terme " risque " et ses nombreuses liaisons dans les milieux professionnels.
Les enjeux soumis aux risques
Les critères économiques et techniques sont au centre des préoccupations des personnes interrogées. La notion d'enjeux telle que l'ont développé les géographes (d'Ercolle et Pigeon, Université de Chambéry) paraît très mal acquise. Pour ces auteurs, la notion d'enjeux se fait en référence à la définition du risque donnée par Fristch dans les années 1980, à savoir les éléments qui permettent à une société de faire face à une situation de crise : bâtiments administratifs où se prennent les décisions opérationnelles, casernes, hôpitaux, réseaux, etc. A cela on peut ajouter les bâtiments constituant le patrimoine local (cathédrale, musées, etc). La théorie actuelle insiste sur la nécessité de la dispersion des enjeux sur un territoire pour éviter qu'un seul événement ne réduise à l'impuissance la totalité des centres décisionnels, ce que l'on a vu lors du séisme de Kobé, au Japon, par exemple.
Les aléas
Chez les étudiants le terme " aléa " est pris dans son sens littéral et ne renvoie pas ou rarement à la notion anglo-saxonne de " hazard ", souvent traduite par " événement naturel ", qui est maintenant admise de façon générale dans les milieux traitant du risque.
Chez les professionnels on trouve deux définitions particulièrement précises : " l'événement potentiel naturel ou d'origine anthropique " ; une définition plus élaborée : " configuration naturelle exceptionnelle non maîtrisée par les moyens de reconnaissance mis en œuvre ". C'est à partir de l'aléa que chez les professionnels on définit " une zone à risque ", ce qui resitue la question dans le domaine assuranciel.
Les probabilités
Pour les étudiants, la notion de probabilité a donné lieu à de nombreux développements : elle est l'instrument de mesure du risque, et permet de classer les risques, de les qualifier de définir des niveaux, de décider des mesures à prendre et des moyens à mettre en œuvre.
Définie comme la fréquence de réalisation d'un risque, c'est en même temps une notion " traître et relative ", disent les interviewés , parce que souvent subjective ; elle doit compenser les lacunes des connaissances qui ne permettent pas une prévision certaine ; c'est une incertitude.
On retrouve la même dualité chez les professionnels :
- d'une part, la probabilité est une mesure du risque, c'est une donnée statistique fondée sur l'observation de fréquences ; elle est l'outil essentiel de la prise de mesures ou de la définition de moyens ; en ce sens elle permet une analyse rationnelle là où souvent le risque déclenche des inquiétudes infondées relevant de rumeurs.
- d'autre part, c'est pour les professionnels également une notion traître, insuffisante et suspecte : " cela n'arrive qu'une fois sur un million et pourtant cela s'est produit ".
Les termes plus techniques (vulnérabilité, période de retour) semblent assez éloignés des préoccupations des professionnels qui n'en donnent souvent que des définitions approximatives.
Parle-t-on trop des risques aujourd'hui ?
L'objectif de cette question est de mesurer la visibilité perçue du thème risques dans l'information générale du public. On constate une différence importante entre les réponses données par les étudiants et celles des professionnels :
La majorité des étudiants estime qu'on n'en parle pas trop. L'argumentaire développé fait état d'un état d'ignorance du public face aux risques auxquels il peut être exposé ; il y a un manque d'information lié à la crainte de créer de la panique, mais aussi à des enjeux politiques ou économiques. L'information sur les risques a tendance à se faire postérieurement à sa réalisation et non pas à titre préventif.
Les professionnels sont plus partagés, l'argumentaire reprend l'idée d'une ignorance des risques liée à la complexité de la société actuelle. Mais cette ignorance est aussi une ignorance construite et volontaire pour éviter de freiner des initiatives et mettre à couvert la responsabilité de certains acteurs. L'idée force est que la connaissance des risques peut seule en permettre la maîtrise. Il s'agit là d'une position rationaliste dont on sait depuis les travaux de Slovic et Sjöberg, combien elle est loin de la réalité. Connaître les risques n'est jamais suffisant pour adopter les conduites les plus appropriées.
Peut-on dire toute la vérité sur les différents risques que nous connaissons ?
Les réponses sont partagées :
- l'effet déstabilisant de la vérité qui est mis en avant le plus fréquemment, liée à l'effet pervers que pourrait avoir la vérité. Le second argument est lié à la relativité des connaissances ; il permet de mettre en avant le rôle des sachants (experts) vis-à-vis de la population à laquelle une information " modérée " devrait être donnée.
- à l'inverse, dire la vérité est une question de démocratie qui exige de la transparence. Une décision doit être motivée de préférence par les sachants. La prise de risque doit se faire en connaissance de cause. Si la préparation du public et sa compréhension des problèmes n'est pas suffisante, le premier devoir des sachants serait de former le public.
Ainsi, l'information la meilleure déterminerait les comportements les mieux adaptés. On sait combien cette position est illusoire. Depuis des années toutes les enquêtes montrent que ce n'est pas la connaissance du risque qui entraîne des comportements adaptés mais que c'est l'évaluation subjective des conséquences pour soi-même qui est à l'origine de la prise de mesures de prévention à condition que les moyens de se protéger soient considérés comme disponibles et accessibles.
Conclusions et perspectives
Une discussion sur les objectifs de l'enquête devrait impliquer l'ensemble des partenaires du GIS : souhaite-t-on s'accorder sur une terminologie ou s'interroge-t-on sur ce qu'évoque cette terminologie pour les différents acteurs du Génie Civil ?
Les différents questionnaires utilisés ont montré à la fois leurs limites, l'impact de la formulation des questions sur les résultats recueillis, et néanmoins leurs possibilités d'utilisation dans un double objectif : explorer les représentations du risque des acteurs du génie civil, et mettre en évidence des acceptions communes d'une certaine terminologie.
Par ailleurs un listing des cibles potentielles pour mener à bien l'enquête a été partiellement réalisé . Une série d'entretiens menés sur un panel représentatif serait susceptible d'affiner nos connaissances et, dans un second temps, de mieux appréhender la manière dont les acteurs perçoivent les risques conditionne leurs attitudes, dont on sait qu'elles conditionnent les risques. Des retombées immédiates pour les préoccupations affichées par le Thème 3 (risques de projets) et par le Thème 5 (relation entre acteurs et sinistralité).